La touche d'humour : Le banquier et le pâté pour chiens

Quelle est la différence entre un banquier et du pâté pour chiens ?
Dans le pâté, il y a du coeur et de la cervelle.

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Afrique : Bâle si lointaine… et si proche !

  • Le 28/01/2015
  • Revue Banque

Les banques du continent africain se mettent au diapason des règles bâloises et des normes comptables internationales. Cependant, leur voix n'étant pas relayée au sein des instances normatives, les auteurs de cet article s'interrogent sur la pertinence d'une mise en conformité indifférenciée.

Jean Kertudo - Consultant -JK Finance

Jean-Luc Siruguet - Directeur - Finabanque Conseil

Cet article est extrait deRevue Banque n°781

Chambres de compensation : un saut vers l’inconnu

Pressées par leurs instances réglementaires nationales ou régionales de se mettre au niveau de Bâle III, les banques africaines francophones s’interrogent sur le véritable contour et la pertinence des IFRS et des « règles de Bâle » qu’on veut leur imposer. « Complexité » et « opacité » dominent les commentaires, d’autant que les exigences internationales actuelles ou futures de comptabilité, de gouvernance, de gestion des risques et de conformité dépassent le seul cadre des normes bâloises. À ces reproches s’ajoute l’impression qu’elles sont exclues du processus, au risque de devoir subir, à l’avenir, des règles inadaptées à leurs besoins.

Il nous apparaît donc utile, sinon nécessaire, de se questionner sur la pertinence de cette « nébuleuse » d’exigences réglementaires dans le contexte national et régional africain. De fait, une mise à niveau est à terme incontournable, comme le soulignent les missions régulières (et insistantes) de la Banque Mondiale et du FMI auprès des ministères, banques centrales, instances de contrôle et grands établissements ; mais il est nécessaire d’y intégrer les spécificités régionales, non seulement dans son rythme d’application mais aussi dans son degré et sa forme de transposition. L’appropriation par les banques africaines des véritables enjeux des règles qui leur seront imposées est donc primordiale, car ce sont elles qui en seront les vraies garantes de leur succès.

Les origines de cette nébuleuse réglementaire

Le début des années 1970 a été riche en événements et caractérisé par un foisonnement d’idées nouvelles. L’environnement économique et financier se détériore : chômage et inflation en hausse, suspension de la convertibilité du dollar en or (15 août 1971), effondrement du système des taux de change fixes et adoption du régime de changes flottants (mars 1973), premier choc pétrolier (1973), apparition des premiers contrats futures financiers…

Les fondements des règles comptables (ou « principes comptables »), qui remontaient pour la plupart au siècle précédent – lequel ne connaissait ni la voiture, ni l’électricité, ni la TSF – sont remis en question. Le chef d’entreprise, propriétaire de sa boutique, désireux de la transmettre à ses enfants et donc prudent par nature, est remplacé par le P-DG, plus porté sur le dividende que sur la prudence, élection oblige ! Les IAS, devenues IFRS [1], sont introduites par l’IASC [2] (créé en 1973 et remplacé par l’IASB [3] en 2001). Dans ce contexte, la faillite de la banque Herstatt, qui intervient en 1974, vient poser brutalement la question : les documents comptables sont-ils toujours adaptés à ce nouvel environnement ?

Cette faillite ne fait que mettre en évidence la caducité de bon nombre des règles de la finance. Elle peut être considérée comme le point de départ d’une remise en cause fondamentale du système économique et financier d’alors, et justifie la mise en place, dans les années 1980, du ratio Cooke (du nom du 1er président du Comité de Bâle). De même, l’ancienne notion de « prêteur en dernier ressort » revient à l’ordre du jour.

La prise en compte des règles de Bâle en Afrique Subsaharienne

Les régulateurs bancaires africains intégrèrent le ratio Cooke dans les années 1990. Ce ratio est relativement bien appliqué par les banques africaines, bien que bon nombre de banques « oublient » de prendre en compte le hors-bilan. Bâle n’avait pas initialement intégré (sinon prévu) les risques de marché, ce qui est fait dans son amendement de 1996. Seule la COBAC [4] en Afrique subsaharienne a pris en compte la partie « risque de change » de cet amendement.

Bâle prend finalement en compte le risque opérationnel en 2004 (suite à la faillite de la Barings), à travers Bâle II (et ses trois piliers), qui révise dans le même temps les normes pour le risque de crédit. Cette révision tient compte des imperfections du ratio Cooke, de l’évolution des techniques statistiques et informatiques, ainsi que de l’expérience acquise dans l’application et la reconnaissance réglementaire des modélisations internes pour le calcul des risques de marché. Appliqué en Europe depuis 2007, Bâle II n’est toujours pas opérationnel en Afrique subsaharienne. Mais… on en parle !

Les strates réglementaires

Par ailleurs, alors que les normes comptables internationales (IFRS) sont maintenant la règle au niveau européen (et les normes GAAP correspondantes aux États-Unis), le principe de « juste valeur » qui les caractérise n’est que partiellement intégré aux systèmes de comptabilité bancaires… lorsqu’il l’est (c’est le cas des positions de change). Il est à noter que les banques de la RDC sont tenues de présenter leurs comptes en IFRS ; et les régulateurs des autres pays africains les préparent. On peut se poser la question de l’utilité d’imposer des « full IFRS » pour des banques d’envergure modeste, et par ailleurs sans activité de marché (en l’absence d’un marché financier digne de ce nom), alors que l’IASB a reconnu la nécessité d’adapter aux PME-PMI ces normes trop complexes pour les petites entreprises.

De surcroît, bien que les règles de bonne gouvernance, partie intégrante du deuxième pilier sous Bâle III [5], reprennent les travaux d’autres instances (dont l’OCDE), leur articulation n’est pas toujours évidente. C’est le cas plus particulièrement des systèmes internes de gestion des risques (ERM) découlant des travaux du COSO, mais aussi des exigences de conformité relevant d’autres instances internationales et relayées, ou en voie de l’être, par les instances de réglementation nationales ou régionales. L’exemple le plus flagrant de telles exigences hors du champ d’action direct de Bâle (mais intégrées au concept plus large de gouvernance) est l’ensemble des directives du GAFI concernant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et couvrant les aspects légaux, réglementaires et opérationnels dans ce domaine [6].

En quoi ces normes bâloises « +++ » sont-elles devenues plus pertinentes pour les banques africaines ces derniers temps ? Bien sûr, elles font l’objet des 12 recommandations du Conseil pour la stabilité financière (ou FSB, sis à la BRI, lui aussi) à l’adresse du G-20 – instance hautement politique – qui les a entérinées [7]. Mais ces normes, que certains voudraient voir copier sans aménagement, tiennent-elles compte du très faible taux de bancarisation des pays d’Afrique subsaharienne (souvent de 5 à 10 %) ? Tiennent-elles compte des contraintes d’infrastructure (dans certains pays, pour se rendre dans une agence bancaire, il faut 3 à 4 jours en saison des pluies !)

Ensuite, ce même G-20 semble donner une grande priorité à la lutte contre l’évasion fiscale, à travers notamment les recommandations du GAFI (reprises dans celles du FSB) et leurs retombées en termes de juridictions non conformes [8] et de bonne gouvernance bancaire (reprise au pilier 2 de Bâle). Les inquiétudes des banques africaines quant à la prise en compte de la loi FATCA, imposée par le fisc américain sont de plus en plus manifestes. Enfin, les 12 recommandations du FSB servent de référence aux évaluations périodiques de la Banque Mondiale et du FMI des systèmes financiers nationaux et régionaux lors des missions tant redoutées par les instances réglementaires nationales et régionales de la région (et d’ailleurs).

Pressées par ces deux institutions internationales, les autorités de tutelle africaines ont tendance à répercuter sur leurs propres banques ces nouvelles exigences. L’avantage est de permettre une mise à niveau en faisant l’économie des phases intermédiaires de Bâle corrigées après la crise. Le risque est double cependant : d’une part d’agir dans la précipitation sans consultation avec les établissements concernés et donc sans leur permettre une réelle appropriation de la culture de risque si chère à Bâle ; d’autre part, d’aller au-delà de ce qui est supportable par le système bancaire national ou régional. Or, on ne saurait trop souligner que les standards internationaux couvrant le secteur financier – et donc en particulier les règles de Bâle III – sont volontaires et en aucun cas exigibles dans le cadre du programme d’évaluation du système financier FMI-Banque Mondiale. Les règles du GAFI concernant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme constituent la seule exception notable. Une transposition adaptée de ces règles est non seulement suffisante mais nécessaire.

À ce propos, rappelons que :

  • pour les IFRS, si le coût de production d’une information est supérieur à l’intérêt d’obtenir cette information, on ne doit pas la produire ;
  • pour le COSO et pour Bâle, le coût d’un contrôle ne doit pas être supérieur au coût du risque contrôlé ;
  • pour la BRI, enfin, rendre un système plus sûr pourrait le rendre plus coûteux ou plus difficile à utiliser, et les efforts d’amélioration de la sécurité ne doivent pas introduire involontairement des effets dissuasifs, ce qui pourrait en fin de compte réduire le niveau global de sécurité.

Si l’on peut se réjouir du projet initié par la BCEAO [9] pour une transposition des accords de Bâle II et de Bâle III dans l’UEMOA [10], il convient de veiller à ce qu’elle soit adaptée aux besoins et possibilités régionales et locales. L’enquête menée par la BCEAO auprès des banquiers (Étude d’impact d’août 2014 dans le cadre de l’implémentation de Bâle II et Bâle III dans l’UEMOA) va dans ce sens.

[1]International Financial Reporting Standards.

[2]International Accounting Standards Committee.

[3]International Accounting Standards Board.

[4]Commission bancaire de l’Afrique centrale.

[5]Ces 13 règles sont par ailleurs explicitées dans un document séparé, actuellement soumis à consultation pour une nouvelle mise à jour en 2015 (http://www.bis.org/publ/bcbs294.pdf ; pour la version française la plus récente voir http://www.bis.org/publ/bcbs122fr.pdf paru en 2006).

[6]Voir http://www.fatf-gafi.org/fr/themes/recommandationsgafi/documents/recommandations-gafi.html.

[7]Voir http://www.financialstabilityboard.org/what-we-do/about-the-compendium-of-standards/key_standards/?page_moved=1, non disponible en français.

[8]L’identification des juridictions non conformes a plus récemment pris une nouvelle dimension avec la lutte contre l’évasion fiscale en réaction aux règles américaines très contraignantes du Facta en voie d’être copiée en Europe.

[9]Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest.

[10]Union économique et monétaire ouest-africaine.